La mode traverse une période très mouvementée. Le modèle vertical traditionnel, qui servait à nous vendre des vêtements, a été complètement renversé. Beaucoup de marques ont adopté une approche « social media first », avec des passerelles d’inspiration qui partent des plateformes comme TikTok. L’apparition des microtendances nous a appris que le style passe après la mode, et que la façon la plus simple d’« avoir le look » consiste à copier ce que ton influenceur préféré portait lors de son café du matin, soigneusement archivé sur son feed et pensé pour la photo. Obtenir ce look n’a jamais été aussi facile grâce à des applications comme ShopMy et l’économie des liens affiliés. Et si le débardeur qui flotte dans sa boutique en ligne dépasse ton budget, les dupes se chargent de t’offrir la même chose pour une fraction du prix. Les portes de la mode sont grandes ouvertes, les gardiens ont disparu. Être « tendance » est devenu très simple, mais cette accessibilité a creusé un vide du côté du style. Et pour celles et ceux qui se soucient vraiment des signes et signaux que véhiculent les objets dont ils s’entourent, cette accessibilité donne envie de chercher d’autres manières de signifier son goût.

On remarque un glissement dans le discours culturel autour de la mode, un élargissement qui inclut désormais le mobilier et les objets de design. On l’a vu très clairement lorsque SSENSE a lancé sa section « Everything Else » en décembre 2020, au moment précis où nous étions tous coincés à la maison à nous demander : « Est-ce que je vis vraiment comme ça? ». Même avec cette tentative de pivot, le géant de la mode n’a pas pu suivre, se retrouvant sous la protection de la Loi sur les faillites après avoir habitué ses clients à attendre les soldes monstres avant d’acheter quoi que ce soit, un autre gros clou dans le cercueil de son capital culturel. Depuis cette première mutation, beaucoup de prescripteurs de mode, à toutes les échelles, ont commencé à ajouter des objets et accessoires pour la maison à leurs propositions. Pensons à Laura Reilly, rédactrice mode et fondatrice de Magasin, qui a récemment lancé Interiors avec Xavier Donnelly, amenant sa lecture du paysage mode-intello à un nouveau niveau.

L’accès à nos intérieurs était autrefois réservé à nous-mêmes et aux quelques proches qu’on invitait à souper. Aujourd’hui, tout le monde peut jeter un œil; chaque selfie devant un miroir pleine longueur publié sur Instagram donne accès aux objets qui nous entourent dans l’intimité. Nos maisons deviennent des lieux d’expression à prendre au sérieux. Des choses autrefois anodines prennent une charge culturelle. Un dentifrice Jasmine Mint de Marvis assorti à une brosse à dents lavande Lavorati A Mano en dit désormais autant sur toi que les marques que tu portes.

Le caractère singulier de ces objets implique un choix plus sélectif, où chaque décision est teintée d’intention. Là où la mode mise sur l’abondance, l’achat sans friction et le besoin constant de suivre, le design invite à ralentir. Les choses qui peuplent notre maison doivent être plus réfléchies, plus recherchées et plus chéries que n’importe quel vêtement. Il est presque impossible d’être léger avec ces objets, parce que, dans la plupart des cas, tu n’en as besoin que d’un seul. Une quantité quasi infinie de chaussures peut s’entasser dans ton garde-robe, mais le sofa dans ton salon, lui, est unique. C’est comme ça que le design remplace la mode dans nos vies. Avec un peu de recherche et de soin, la création d’un espace soigneusement composé peut faire autant de bien que notre feed Instagram. Et même si l’on ne sortira jamais du cycle de la mode – il faudra toujours s’habiller – il y a un certain réconfort à savoir qu’une alternative plus signifiante existe, quelque part à l’intérieur.